Tan'rei

Allongée sur un sofa luxueux, un léger voile de soie pour seul rempart aux rayons révélateurs du soleil, la belle aux yeux de glace fixe l'homme qui se tient encore sur le pas de la porte. Il semble bien coincé maintenant, dans les tissus finement cousus de son costume trois pièces. Serait-il mal à l'aise ? Ce n'est qu'une fille de joie de plus pourtant.. Elle se redresse et le tissu frémit, glisse sur la peau satiné, effleure d'une délicate caresse les formes gracieuses qui se mettent en mouvement. D'un pas assuré et félin, la belle s'avance vers ce qui devrait être son "maître" à servir pour la soirée. Sauf que.. cet homme plein d'assurance, est un pantin de chaire, comme tous les autres. Son corps s'embrase en voyant une belle femme entreprenante. Ce n'est pas difficile à deviner. Pas difficile à maîtriser.

Une main féminine se lève jusqu'à la cravate de l'homme, semble la remettre en place avant de s'en servir de laisse pour attirer l'humain à elle. Vraiment, qui était maître du monde et animal esclave à ce moment même ? Quelle race était supérieure ? Celle qui se faisait appeler Felissia sourit en coin, elle n'a que faire de ce débat, de cette guerre. Cela devrait la concerner ? Si ceux de sa race n'était pas assez intelligents pour comprendre comment il fallait y faire avec les humains, ils n'étaient pas si évolués qu'ils le croyaient. La jeune femme fait un pas en arrière, l'homme la suit, sans résistance, ses yeux se sont perdu en la contemplant, son esprit est déjà charmé autant que son corps, il dirait.. tout ce que voulait savoir la belle.

Et grâce à ses informations, elle survivrait. Elle et elle seule. Les autres shapeshifter pouvaient se terrer et s'enfuir autant qu'ils voulaient, cela lui était égal. Si elle était insensible ? Sans doute. Mais à quoi bon être sensible dans ce monde ? Il n'y a rien d'autre que la douleur qui attende les âmes sensibles. Rien d'autre que la souffrance et la trahison.

Que ce soit les shapeshifter ou les humains. Ils étaient tous des animaux. Ils étaient tous aussi, des menteurs.

~°~ 

Une petite panthère saute dans les hautes herbes d'un terrain vague, ce n'est guère plus qu'un chaton pourtant ses jeux devront rapidement s'arrêter. Elle a été recueillis par une meute hétéroclite dès son plus jeune âge, on ne sait ce que sont devenus ses parents. Ils étaient espions chez les humains. Et tel était le destin de l'enfant.

- Tan' redresse-toi ! Prends ta forme humaine, tout de suite !

Elle était la seule, la seule à devoir toujours adopter sa forme humaine plutôt qu'animale. Les autres enfants de la meute ne voulaient pas jouer avec elle sous cette forme. L'aversion pour les humains était bien présente et en montrant son visage humain, elle s'attirait l'inimité de tous les enfants de son âge, voir des shapeshifter plus âgés aussi. Ce n'était pourtant pas un plaisir pour elle non plus. Elle était si maladroite avec ses pattes gringalettes, si incertaine de sa marche, cherchait son équilibre et comment se servir de ses membres supérieurs. Sa forme féline était bien plus .. naturelle.

Mais on ne la laissait pas faire comme elle voulait. Même pour dormir, elle devait maintenir sa forme humaine. Tout ça pour faire d'elle un clone parfait des êtres humaines.. Et, l'envoyer là-bas. Là où tous les dangers la guèteraient. Là où elle se ferait tuer en une seconde si elle était découverte. Heureusement, ou non, Tan'rei apprenait vite, elle était, malgré sa réticence, douée. À ses 2 ans elle fut envoyée dans la ville. Elle devait simplement voler un peu de nourriture pour la meute. Elle était terrorisée à l'idée de s'aventurer seule sur le territoire des Humains. Terrorisée d'en rencontrer. D'en sentir. Mais il le fallait, pour le bien de la meute.

Cette mission fut la première d'une longue liste. Utilisée, manipulée, pour le bien de la meute, de sa famille, elle devait aller toujours plus loin, pour obtenir des informations sans que personne ne sache qu'un shapeshifter était en ville. Elle passait désormais plus de temps dans la ville que dans la meute. Un jour, lorsqu'elle revint faire son rapport et apporter de nouvelles informations à sa famille, elle prit sa forme féline et s'approcha discrètement, surprenant une conversation qu'elle n'aurait sans doute jamais du entendre.

- .. une trainée, elle s'envoie en l'air avec des humains, elle ne sera plus jamais des nôtres..

- C'est nécessaire pour avoir les informations.. mais c'est vrai, elle l'a choisi après tout.. qu'elle assume..

- Tan'rei n'est plus de cette famille depuis longtemps, elle n'est plus digne d'être un shapeshifter respectable..

- D'ailleurs, avant qu'elle arrive faut qu'on choisisse devant quel autre humain elle devra écarter les cuisses.

- On peut viser le procureur maintenant je pense qu'il est..

La féline n'en entendrait pas plus. Elle s'enfuirait loin de cette ignominie. Elle n'était pas de cette famille. Elle n'était pas respectable. Elle avait choisi. Un feulement de rage ébranle la forêt alors que la panthère cour à en perdre le souffle, son coeur cognant contre sa cage thoracique. Elle n'avait jamais fait ce choix ! On l'avait poussé à agir ainsi ! On lui avait dit qu'elle le devait pour le bien de la meute, le bien de sa famille à qui elle devait tout ! Elle n'avait jamais voulu devenir espionne ! On l'avait choisi pour elle dès qu'on l'avait recueilli ! C'était eux ! Eux qui n'étaient pas des shapeshifter respectables !

Ils ne valaient pas mieux que les humains.

Tan'rei s'arrêta brusquement alors que cette pensée s'imposait à elle comme une vérité absolue. Les fiers shapeshifter .. ne valaient pas mieux que les humains. Ils étaient tous aussi immondes les uns que les autres. Alors oui, elle ne faisait plus partie de cette famille. Et tant mieux ! Elle ne voulait pas être affiliée plus longtemps à ce genre de monstre. Qu'ils se débrouillent donc maintenant, sans ses informations, que la meute sache par elle-même où les humains mèneraient ou non des battues. Qu'ils apprennent par eux même où se cacher ? Comment trouver de la nourriture pour tous.

Qu'ils meurent ! Qu'ils périssent dans la misère ou la famine, dans la peur ou le désespoir ! Qu'ils rongent leurs griffes et essaient donc de venir quémander de la nourriture dans la ville ! Qu'ils ne soient plus jamais en sécurité où qu'ils aillent ! Qu'ils sentent peser sur eux, la honte qu'elle a du porter.

Désormais, elle serait libre. Libre de toute emprise. Elle ne vivrait que pour elle seule. Que sa race s'éteigne. Que les humains meurent tous. Que l'un ou l'autre gagne. Elle n'en avait plus rien à faire. Elle survivrait qu'importe de quel côté viendrait le vent de l'apocalypse. Avec des caresses ou des coups de griffes, elle vivrait.

~°~

Un homme respire profondément, allongé sur un lit aux draps de satin, il a fermé les yeux depuis longtemps, laissé Morphée l'emporter. Devant la fenêtre ouverte, une jeune femme en déshabillé noir, perce les gratte-ciel de son regard perçant. Aujourd'hui, ce monde était sien.